Sermon pour le 24° et dernier dimanche après la Pentecôte, prononcé le 24 novembre 2019 – par Monseigneur Nicolas Brouwet, évêque de Lourdes et de Tarbes,

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

« Toutes les tribus de la terre verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel. »

Nous sommes entre deux avènements de Jésus. Entre le temps de sa venue dans la chair, marchant et prêchant sur les routes de Palestine, partageant notre condition humaine jusqu’à la mort de la croix et ressuscitant d’entre les morts pour nous arracher à la puissance des ténèbres.

Et le temps où Jésus reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts.

L’Evangile d’aujourd’hui nous rappelle cela : nous attendons le retour du Seigneur. Notre monde, ici-bas, est provisoire, il est relatif. Il est appelé à disparaître. Parce que nous sommes destinés à une autre vie : à la communion avec Dieu en le voyant face à face, dans sa demeure du ciel. Aujourd’hui, sur cette terre, nous ne sommes que des voyageurs. C’est la Trinité qui est notre demeure finale.

La destruction du Temple de Jérusalem, annoncée par Jésus dans l’Evangile que nous venons de lire, a été un signe très parlant pour les contemporains : ce monde est fragile et toutes nos constructions terrestres sont appelées à disparaître.

Pourtant il nous faut vivre aujourd’hui dans ce monde provisoire, en citoyens du Royaume des cieux ; attendant le retour du Seigneur mais conscients, aussi, que la vie éternelle est déjà commencée par le don de l’Esprit Saint qui nous fait vivre de la vie de Dieu.

C’est ce que nous appelons le temps de l’Eglise : entre les deux évènements du Christ. C’est ce temps de la vie menée à la suite de Jésus mais dans la foi, comme en tâtonnant. Dans la lumière divine mais sans toujours bien comprendre où nous allons.

C’est pourquoi le Seigneur nous met en garde contre la tentation de courir après de faux messies. Après tous ceux qui nous proposent un salut qui ne vient pas d’en-haut. « Si l’on vous dit « Le Messie est ici » ou bien « il est là », ne le croyez pas. Car il surgira de faux messies et de faux prophètes ; ils feront des miracles et des prodiges, au pont d’égarer, s’il était possible, même les élus. »

Il y a ceux qui proposent un salut dans le progrès scientifique et technique. Il y en a d’autres qui nous parlent d’un salut trouvé dans le confort et la consommation ; il y a aussi ceux qui voient le salut dans l’engagement politique et social.

Pour les chrétiens, le salut ne se limite pas à l’amélioration des conditions d’existence ou de l’organisation sociale. Il est plus profond. Il vient toucher, relever, libérer l’homme dans son intégralité, dans toutes les dimensions de son être. Et d’abord dans sa dimension spirituelle, dans son rapport avec Dieu. Mais également dans son rapport avec lui-même. Le salut vient l’atteindre dans son être profond, dans son psychisme, dans son cœur, là où tout se décide ; dans sa conscience morale, là où chacun se retrouve face à lui-même pour donner un sens à sa vie, pour lui donner une direction.

A vrai dire, ni le progrès scientifique et technique, ni le bien-être, ni la liberté affranchie de Dieu, ni l’engagement dans la construction du monde ne peuvent tenir lieu de salut, ne peuvent nous sauver de la mort éternelle, du refus et de l’oubli de Dieu, de l’envahissement de l’ego, du péché qui isole et divise.

C’est pourquoi il nous faut réécouter le passage de Saint Paul aux Colossiens où l’Apôtre fait en somme, une petite règle de vie à l’usage des chrétiens. Elle comporte 4 conseils.

1-      Dans cette règle, il s’agit d’abord de rechercher la volonté de Dieu.

C’est vraiment la première tâche, la première urgence dans notre monde sécularisé où les institutions qui avaient encore une saveur d’Evangile, il y a quelques dizaines d’années, l’ont complètement perdue. Nous vivons dans une culture que l’Evangile n’irrigue pratiquement plus. Là où, auparavant, on pouvait se laisser porter collectivement par des usages, par des traditions, par des réflexes inspiré d’une forme de chrétienté, il faut maintenant, dans une grande solitude, éclairé par le Saint-Esprit, opérer un discernement pour comprendre par où le Seigneur nous conduit.

Il n’est plus évident de s’engager pour toujours, il n’est plus évident de se marier, il n’est même plus évident de se marier à quelqu’un de sexe opposé ; il n’est plus évident de tenir les engagements pris, il n’est plus évident d’avoir un père pour élever un enfant…L’urgence est d’apprendre à faire de vrais choix face à Dieu et souvent en contradiction avec ce que fait ou pense la majorité. C’est par ce discernement que nous sommes remis devant notre fin ultime, devant notre vocation à voir Dieu. En restant les veilleurs qui attendent le retour du maître.

2-     Saint Paul continue : « Portez du fruit par toutes sortes d’œuvres bonnes. »

Parce que nos œuvres seront les fruits de notre discernement devant le Seigneur.

Dans un monde sécularisé, la tentation est de mener deux vies. L’une ancrée dans notre foi : elle peut se déployer dans la famille, dans des engagements associatifs. L’autre est calquée sur les modèles et les usages de la vie professionnelle, de la vie politique, du divertissement. Dans la première on vit selon l’Evangile ; dans l’autre on adopte les principes du milieu dans lequel on est, un milieu dont Dieu est absent, où les préceptes évangéliques sont ignorés. On est ainsi tenté par une forme de dualisme dans l’action avec de plus en plus de difficulté à unifier sa vie dans l’Esprit Saint, devant le Seigneur.

Cette tentation est vraiment le combat de notre époque. On ne parvient plus à vivre nos convictions chrétiennes dans l’exercice de notre métier, dans les relations quotidiennes, dans l’organisation des vacances ou des temps de repos, dans des choix financiers, dans l’éducation des enfants…

Parfois même, pris par la surcharge des activités, des évènements qui se bousculent, par le train-train de l’existence, on en vient à être davantage spectateurs qu’acteurs de son existence ; une existence que l’on voit défiler devant nos yeux sans pouvoir s’arrêter pour poser des choix personnels, conformes à nos convictions les plus profondes, conformes à notre désir de suivre le Christ.

Quand St Paul nous exhorte à porter du fruit par toutes sortes de bonnes œuvres, c’est comme s’il nous invitait à nous arrêter pour évaluer, dans l’Esprit Saint, les fruits que nous portons, la façon dont nous bâtissons le Royaume des cieux par nos projets, nos choix, toutes nos actions.

Parfois, aussi, nous ne savons plus quelle initiative prendre. Nous nous trouvons bien démunis quand nous il s’agit de poser des œuvres bonnes. On peut alors se remettre devant les yeux la liste des œuvres de miséricorde. Elles nous renvoient à la radicalité de l’Evangile et nous rappellent sur quoi nous serons jugés au dernier jour : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.

Sans oublier les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts.

Nous pouvons aussi nous souvenir des fruits du Saint-Esprit que Paul détaille dans la lettre aux Galates : « Amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi ». Ga 5, 22-25. Cette liste des fruits du Saint-Esprit peut nous aider à relire nos pratiques et à unifier notre vie en profondeur.

3-     Le troisième conseil de l’Apôtre Paul dans la lecture d’aujourd’hui est le suivant « croissez dans la connaissance de Dieu ».

Une connaissance qui n’est jamais purement cérébrale, intellectuelle, mais une connaissance qui vient de la rencontre personnelle avec le Dieu vivant. Dieu n’est pas un concept. Il se révèle à nous dans la mesure où nous lui ouvrons les portes de notre être. Et, lorsque nous le laissons agir, il nous transforme, il nous convertit, il chasse peu à peu nos peurs, nos fausses images de Dieu, il purifie nos désirs, il change notre regard sur les personnes et sur les évènements.

Il se fait connaître comme un feu qui purifie, qui éclaire et qui réchauffe. Il nous sort de nos illusions spirituelles pour nous mettre devant la réalité de ce que nous sommes et de ce qu’il est. Et cette transformation est à la fois éprouvante et vivifiante. Parce que nous sommes conduit à la gloire mais par le chemin de la croix, par la porte étroite.

4-     Enfin Saint Paul nous exhorte à rendre grâce avec joie au Père. Parce que celui qui rend grâce est celui qui est capable de voir la grâce de Dieu à l’œuvre dans sa vie, de voir comment Dieu agit avec puissance dans son existence.

La journée d’un chrétien ne devrait jamais se finir sans avoir pris le temps de voir comment Dieu nous a comblés de ses grâces tout au long du jour. C’est ce qui nous entretient dans l’espérance et qui nous montre comment, précisément, la vie éternelle a déjà commencé dans notre union à Dieu. L’action de grâce est la joie d’être à Dieu, la louange pour tous ses bienfaits. Et c’est le propre de la vie chrétienne de vivre déjà de ce Magnificat éternel.

Voilà comment, par le discernement de la volonté de Dieu dans l’Esprit Saint, en portant les fruits de l’Esprit par nos actes, en grandissant dans l’amour du Seigneur, en nous livrant à la joie d’être à Dieu, nous sommes peu à peu, dit Saint Paul, arrachés à la puissance des ténèbres pour entrer dans le Royaume du Fils bien-aimé du Père. Et que nous nous préparons à voir Dieu dans sa demeure du ciel.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.