Pour l’Église, pendant près d’un demi-siècle, en contrepoint du relativisme, de l’égoïsme et du désespoir, Benoît XVI a été une épiphanie chrétienne de la Vérité, de l’unité et de la joie.

Coopérateur de la Vérité

Ce qui frappe le plus dans le parcours de Benoît XVI, c’est son souci d’ouvrir aux hommes le chemin de la vérité, dans le contexte difficile de la modernité. Pour cela, il a compris les enjeux. Il a mesuré la perte de la dimension métaphysique de l’intelligence. Il a vu le déclin de la théologie de la Création, qui voit dans la nature et le corps humain un message de la sagesse de Dieu.

Cette perspective a animé sa présentation doctrinale de la foi. Depuis les conférences sur la catéchèse à Lyon et Paris en 1983, jusqu’au Catéchisme de l’Église catholique et à son Compendium en 1992 et 2005. Elle explique son insistance sur l’harmonie de la foi et de la raison. De Veritatis Splendor et Fides et Ratio (auxquelles il a collaboré en 1993 et 1998), jusqu’aux discours de Ratisbonne et des Bernardins en 2006 et 2008, en passant par la merveilleuse conférence à la Sorbonne en 1999 sur le christianisme comme religio vera.

Dans notre époque de vacillation et de doute, il a rappelé à une Europe qui sombre dans le nihilisme, la pertinence de la loi naturelle, le respect de l’homme et de la création, et la nécessité de « rendre visible la foi comme l’alternative que le monde attend après la faillite de l’expérience libérale et de celle de type marxiste » (1).

Je me souviens du jour où je lui disais que c’était grâce à l’amour de la Vérité qui transpirait dans ses œuvres, que j’avais retrouvé la communion hiérarchique… Il me semble qu’il y fut sensible.

Merci, Benoît XVI, d’avoir été, pour moi et pour tant d’autres, une incarnation attirante de l’amour de la Vérité.

Artisan d’unité

Toute sa vie, Benoît XVI a été sensible à l’unité comme fruit et comme preuve de la Vérité. Cette préoccupation était liée chez lui au souci de la continuité du magistère qui en est le garant. Elle lui a fait rapidement prendre des distances, après l’optimisme du renouvellement attendu du Concile, à l’égard de ceux qui y voyaient l’occasion d’une révolution, un super-dogme et un commencement absolu. C’est ce qui explique la fondation de Communio pour faire pièce à Concilium.

Ce souci de la vraie unité est la lumière qui a guidé ses actions. D’abord son opposition comme théologien, puis comme archevêque de Munich, au los von Rom (l’éloignement de Rome). Ensuite son refus de la rupture inouïe introduite par l’interdiction des anciens rituels.

Benoît XVI avait une conscience aiguë que l’unité catholique dans la durée est garante de l’unité dans la foi. Puis ses efforts pour écarter les fausses conceptions sur la nature du Peuple de Dieu, sur les rapports avec les autres religions, et sur l’œcuménisme… notamment en l’an 2000 par la déclaration Dominus Jesus. Et, depuis le 22 décembre 2005, le désir d’une lecture de Vatican II selon une « herméneutique de la réforme dans la continuité ».

Enfin son combat contre la décadence de la christologie, par la lecture de l’Écriture dans l’analogie de la foi. Loin d’un Jésus purement empirique, Benoît XVI redonnait sa place centrale au titre de Fils au sens métaphysique. Et il s’opposait à une notion bureaucratique de la communion ecclésiale, en remettant en honneur la réalité du Corps mystique, et la piété filiale à l’égard de l’Église et de son être historique (2).

Je me souviens de ce jour de juillet 1988, où, en compagnie des prêtres fondateurs de la Fraternité Saint-Pierre, je lui demandai s’il y avait une place dans l’Église pour des prêtres qui ne diraient jamais le nouveau rit et qui ne feraient jamais schisme. Il nous répondit : « La main que l’Église a tendue à Mgr Lefebvre reste ouverte pour ceux qui veulent la saisir ».

Merci, Benoît XVI, d’avoir été, pour moi et pour tant de personnes, artisan d’unité dans la Vérité.

Serviteur de notre joie

Un thème constamment présent chez Benoît XVI est celui de la vie éternelle. Il a réagi contre la réduction horizontale de l’eschatologie à l’utopie d’un « monde meilleur » et de la paix terrestre comme bien ultime, utopie qui est hélas devenue « le véritable objet de l’espérance et le vrai critère éthique ». « C’est à peine si la foi en la vie éternelle joue encore un rôle dans la prédication aujourd’hui », a-t-il déploré, y voyant « la menace d’une réduction radicale du contenu de notre foi » (3).

Tout son ministère a été un hymne à l’espérance dans la vie éternelle. Certes, il a affronté les défis culturels et politiques de l’heure. Mais il l’a fait en « serviteur de notre joie », selon la définition de son ministère pétrinien, donnée lors de sa messe d’intronisation. Notre joie profonde est dans le Royaume de Dieu, dans la charité mutuelle des chrétiens, dans les Béatitudes du Sermon sur la montagne… qui sont la vie éternelle commencée.

La nuance propre chez Benoît XVI de ce service de la joie chrétienne ? La beauté. La beauté de la liturgie, de l’art chrétien, de la vie chrétienne. Par un courageux souci de la justice, il a rétabli les droits de l’usage antique du Missel romain. Parce qu’il « doit être honoré en raison de son usage vénérable et antique » (4), mais aussi à cause de la beauté de ce rite, qui véhicule la sacralité et soutient l’adoration. « J’avais oublié à quel point les prières de ce Missel portent à l’adoration », disait-il après avoir célébré de nouveau cette messe dans une communauté Ecclesia Dei.

« La beauté est révélatrice de Dieu, disait-il à Barcelone en 2010, parce que, comme Lui, l’œuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme ». L’amour de la beauté de la vie chrétienne a été manifeste dans la façon dont Benoît XVI a combattu ce qui la souillait dans la vie de l’Église. D’où lui est venu le rare courage de dire toujours la vérité sur le mal et la laideur, depuis son fameux Entretien sur la foi en 1985, jusqu’aux mesures contre les scandales de mœurs dans l’Église, en passant par la prédication du chemin de croix de 2005 ?

La réponse est dans sa sensibilité à la beauté de l’amour. Dans sa rayonnante humilité. Dans sa joie spirituelle. Il savait que le mal n’est jamais ultimement vainqueur. Lorsque Blaise Pascal parle des saints et du Christ, on ne peut se défendre de penser à Benoît XVI : « Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles [dans le sens de : intellectuelles]. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux. Dieu leur suffit. […] Il eût été inutile à Notre Seigneur Jésus-Christ pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre. » (5)

« L’éclat de son ordre », pour Benoît XVI ? C’est celui de la Vérité dans l’humilité. Comme un Agneau de Dieu, il a touché les cœurs par la grandeur de l’intelligence jointe à la délicatesse de l’amour. « La puissance fait défaut à la vérité, d’autant plus qu’elle est plus noble. […] Plus une vérité est noble, plus aisément les réalités grossières peuvent la pousser de côté ou la couvrir de ridicule ; plus elle doit compter sur l’attitude chevaleresque de l’esprit. » (6)

Merci, Benoît XVI, d’avoir été, pour moi et pour tant de personnes, un « amant de la beauté spirituelle » (7) et un serviteur de notre joie.

fr. Louis-Marie de Blignières,
Prieur FSVF

1. Discours aux présidents des Commissions doctrinales des épiscopats européens, 2 mai 1989.

2. Redécouverte à laquelle ont contribué les discours des audiences du mercredi sur les apôtres, les Pères de l’Église et les saints.

3. Discours cité du 2 mai 1989.

4. Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, article 1.

5. Blaise Pascal, Pensées, Brunschvicg, n. 793.

6. Romano Guardini, Le Seigneur, Paris, Alsatia, 1945, t. 2, p. 253.

7. Règle de saint Augustin.