Le phénomène « mai 68 » est une régression infantile. Pour les petits bourgeois formés par les maîtres du soupçon (Marx, Mao, Marcuse), il s’agit de tuer le Père ; de purger, même au prix de la culture humaniste, la société des structures patriarcales et de tout ce qui sent l’enracinement ; de « jouir sans entraves » dans une ambiance fusionnelle et festive, en déracinant ce qui existe : « Sous les pavés, la plage ». Retour au principe de plaisir, qui domine l’enfant (dixit Freud, un des maîtres des soixante-huitards), en enjambant le principe de réalité, qui construit l’adulte. « L’imagination au pouvoir » concrètement, c’est : « La raison au placard ».

Cette révolution éclot, sans beaucoup d’héroïsme, sur l’inexorable ennui de la société de consommation. Les meneurs viennent des réseaux marxistes de tous poils et des « cathos de gauche ». Les « élites » issues des Lumières – administration, gouvernement, Université – ou influencées par elles – patronat, clergé – sont d’abord débordées. Rapidement, elles emboîtent le pas. Témoins la loi Faure dont l’Université ne s’est jamais remise, et la lecture en parfait contre-sens que l’archevêque de Paris, et beaucoup d’évêques et de prêtres, font du mouvement. Depuis un demi-siècle, notre société donne le spectacle d’une fuite du réel : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ». Toujours moins de paternité, de filiation, de bien commun, de loi naturelle et de racines chrétiennes. Toujours plus d’égotisme, de droits devenus fous (« C’est mon choix »), de destruction de la vie humaine réelle et de la famille. Bien sûr, contre les récalcitrants à cette dis-société onirique, toujours plus de lois et toujours moins de vraies libertés.

Eh bien, cela ne marche pas. Les gens ne sont pas heureux, les psys sont débordés, la société est de plus en plus dépressive. C’est que le réel, qui est un compagnon fraternel, a toujours eu la vie dure. « Un criterium du réel, c’est que c’est dur et rugueux. On y trouve des joies, non de l’agrément. Ce qui est agréable est rêverie » (Simone Weil). Nuançons le propos : « Il faut de l’agréable et du réel ; mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai »(Pascal).

L’apostolat de notre Fraternité tient compte de ce contexte. Enracinées dans les pédagogies traditionnelles, nos activités de formation – retraites, conférences, catéchismes, cercles thomistes, formation des pèlerins de N.-D. de Chrétienté, des Europa-Scouts, des foyers Domus Christiani, des volontaires de SOS-Chrétiens d’Orient –, visent la (re)découverte du réel par la raison et par la foi. À contre-courant du triste conformisme ludique, des fidèles retrouvent le courage et la joie « d’être fils » : de leurs parents, de leur patrie, de Dieu. Quel bonheur d’être au service de la croissance dans le Christ de ces non-conformistes qui deviennent des hommes et des femmes debout ! « L’enfance spirituelle n’est rien d’autre que la maturité chrétienne » (Romano Guardini).

Fr. Louis-Marie de Blignières, prieur