L’article ci-dessous a été rédigé par le fr. Antoine-Marie de Araujo pour Dux, le bulletin de liaison de cadres du Pèlerinage de Chrétienté

Pour aller plus loin on peut consulter

Bernard Lucien, «L’autorité magistérielle de Vatican II. Contribution à un débat actuel»

et Louis-Marie de Blignières, «Aide-mémoire sur le magistère de l’Église»

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Ces dernières années (mais en fait, ce n’est pas absolument nouveau), les catholiques ont eu de multiples occasions d’être perplexes face à certaines déclarations ou gestes venant de la hiérarchie de l’Église. Dans les discussions qui s’ensuivent, on parfois a l’impression que l’Église n’est plus seulement un lieu de débats (reflets d’une saine diversité), mais de contradiction, de trouble et de division : évêques contre évêques, cardinaux contre cardinaux… quelquefois on dirait même pape contre pape (bien qu’un seul soit le pape en exercice, jouissant de l’autorité) ! Certes, face à une initiative de la hiérarchie qui lui semble difficile à comprendre, le fidèle peut choisir de faire confiance à ses pasteurs, et surmonter ainsi la difficulté. Mais le problème devient inextricable lorsqu’un évêque, voire le pape lui-même, paraît enseigner le contraire de la doctrine catholique déjà fixée ou de l’enseignement des papes précédents. Si l’on écoute alors ce que dit l’un, on ne peut suivre ce que dit l’autre… et inversement !

Or « Qui vous écoute, m’écoute » dit Jésus à ses Apôtres (Lc 10, 16). Le catholique qui veut être fidèle au pape et à l’Église, et à travers eux au Christ, ne sait plus comment réagir. Car il sait qu’hors de l’Église, point de salut. Il n’envisage donc pas de faire bande à part en formant une Église parallèle, aussi belle et traditionnelle soit-elle en apparence.

Voilà le problème auquel nous souhaiterions apporter quelques éléments de solution.

Le premier élément consiste à renouveler notre foi en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Malgré les apparences et bruits contraires, l’Église demeure une. Elle a reçu du Christ les promesses de la vie éternelle : nous savons par la foi qu’elle ne sera pas détruite[1] –qu’elle-même subsistera dans son unité jusqu’à la fin des temps. Puisqu’elle est une, l’Église ne peut donc pas être contraire à elle-même : ni à une même époque, ni entre deux époques différentes.

Ainsi la solution consiste à chercher l’unité dans le discours ecclésial.

Mais comment ? Du tumulte et des voix discordantes, comment extraire l’harmonieuse parole de l’Église ? Habituellement, identifier la voix de l’Église ne fait aucune difficulté pour le croyant : c’est celle des pasteurs. Mais, nous l’avons vu, parfois la confusion et le doute surgissent à ce propos.

Le deuxième élément de solution consistera donc à déterminer les critères auxquels on reconnaît que c’est l’Église qui parle, et à travers elle, le Christ, Dieu lui-même.

I- PAROLE DE DIEU

Considérons en premier ce fait : Dieu a parlé à l’homme. Une telle affirmation paraît banale aux croyants. Pourtant, Dieu n’était nullement obligé de parler à ses créatures, et il aurait pu les créer tout en les laissant dans l’ignorance de ses mystères. C’est par pure bonté et amour que, de toute éternité, il a décidé de se révéler à elles.

Qu’est-ce que Dieu révèle à l’homme ?

L’essentiel de la Révélation chrétienne se trouve résumé dans les articles du Credo. Comme l’explique le Compendium du Catéchisme de l’Église catholique (pour abréger, nous l’appellerons « Compendium »), n° 6,

« Dans sa bonté et dans sa sagesse, Dieu se révèle à l’homme. Il se révèle lui-même, ainsi que son dessein de bienveillance, qu’il a établi de toute éternité dans le Christ, en faveur des hommes. Ce dessein consiste à faire participer, par la grâce de l’Esprit Saint, tous les hommes à la vie divine, pour qu’ils soient fils adoptifs en son Fils unique. »

Cette révélation était nécessaire. En effet, toujours selon le Compendium, n° 4, l’homme […] ne peut entrer par lui-même dans l’intimité du mystère divin. C’est pourquoi Dieu a voulu l’éclairer par sa Révélation sur les vérités qui dépassent la compréhension humaine […]. De plus, même si l’homme peut par la seule lumière de sa raison arriver à savoir certaines choses sur Dieu (p. ex. son existence, sa Providence, les commandements de sa loi naturelle), l’homme rencontre beaucoup de difficultés pour accéder à cette connaissance. Pour cette raison, Dieu a même révélé à l’homme des vérités religieuses et morales, qui, tout en étant en elles-mêmes accessibles à la raison, peuvent ainsi être connues de tous, sans difficulté, avec une ferme certitude et sans risque d’erreur. (Ibid.)

La raison humaine peut prouver, à partir de l’univers, l’existence d’un Principe. Platon ou Aristote, sans les lumières de la Révélation, l’ont fait. Mais c’est difficile. De même, l’immoralité du divorce est démontrable sans la Révélation divine. Mais peu de peuples sont arrivés à cette finesse de conscience. C’est pourquoi Dieu révèle même ces vérités-là : dès lors, elles acquièrent une certitude absolue aux yeux de la foi.

Comment le croyant répond-il à la Révélation de Dieu ?

Par la foi. Croire signifie se fier à un témoignage. Autrement dit, recevoir pour vrai un savoir en accordant foi à celui qui le révèle. À la Révélation que Dieu fait de Lui-même, le croyant répond par la foi. Il s’agit de la foi théologale, surnaturelle, qui est elle-même un don de Dieu. Par la foi, l’intelligence du croyant adhère aux vérités révélées.

Par quelles étapes Dieu s’est-il révélé à l’homme ? [2]

Dieu se fit connaître à nos premiers parents, Adam et Ève, puis aux patriarches, au peuple de l’Ancienne Alliance par Moïse et les prophètes, enfin à tous les hommes par le Verbe incarné, Jésus Christ. Il est la Parole parfaite et définitive du Père. La Révélation est désormais pleinement accomplie. Notons bien cela. Aucune nouvelle vérité ne sera ajoutée à la Révélation.

Comment s’effectue la transmission de la Révélation divine ?

Dieu aurait pu donner directement à chacun une révélation personnelle de Lui-même. Mais il n’a pas agi ainsi. Il a voulu impliquer les hommes dans la diffusion de son message. Il a voulu que les hommes reçoivent la révélation de la bouche d’autres hommes. C’est-à-dire que la Parole de Dieu soit enseignée par l’Église.

II- PAROLE DE L’ÉGLISE

Le Christ a dit : « Allez et enseignez toutes les nations » (Mt 28, 19). Cela se réalise par la transmission du message du Christ qui s’accomplit, depuis les origines du christianisme,  par la prédication, le témoignage, les institutions, le culte, les écrits inspirés. Les Apôtres ont transmis à leurs successeurs, les Évêques, et, à travers eux, à toutes les générations, jusqu’à la fin des temps, ce qu’ils ont reçu du Christ et ce qu’ils ont appris de l’Esprit Saint. (Compendium, n° 12) Ce message du Christ, en tant qu’il a été transmis oralement par les Apôtres, est appelé « Tradition orale », pour le distinguer du message transmis par écrit, la Sainte Écriture.

Tradition orale et Sainte Écriture sont inséparables, elles constituent un seul dépôt sacré de la foi, où l'Église puise sa certitude concernant tout ce qui est révélé. Ce dépôt de la foi désigne le contenu de la Révélation, les vérités révélées par Dieu. Depuis les Apôtres, le dépôt de la foi est confié à l’Église. L’image du dépôt signifie bien que l’Église n’est que dépositaire des vérités qui lui ont été confiées, elle ne peut rien y ajouter ni rien y retrancher.

On appelle « Tradition active » l’action par laquelle l’Église transmet le message du Christ [3].

À qui revient-t-il d’interpréter de façon authentique le dépôt de la foi ?

Tout chrétien transmet le message révélé, soit en paroles (p. ex. les parents à leurs enfants) soit par l’exemple. Toutefois, cette transmission est guidée par les pasteurs, qui dans l’Église ont reçu spécialement la mission d’enseigner les vérités révélées et donc d’interpréter au nom de Dieu le dépôt de la foi.

L’interprétation authentique du dépôt de la foi appartient au seul Magistère vivant de l’Église, c’est-à-dire  au Successeur de Pierre, l’Évêque de Rome, et aux Évêques en communion avec lui. (Compendium, n° 16)

Nous voici arrivés au cœur de notre sujet : ce qu’on appelle « magistère », c’est la fonction d’enseignement de l’Église. Pour bien comprendre cette fonction de magistère (du mot magister, « maître », c’est-à-dire enseignant), distinguons-la d’une autre fonction propre aux pasteurs de l’Église, celle du gouvernement.

Première distinction : enseigner n’est pas gouverner

L’intelligence a pour objet la vérité. La volonté a pour objet le bien. De là deux domaines, le domaine théorique ou spéculatif, et le domaine pratique ou de l’agir.

- Le maître enseigne aux disciples un savoir théorique, censé nourrir leur intelligence de vérités (savoir parfois très concret d’ailleurs. Par exemple, que « Bonjour » en anglais se dit « Hello ! »). En réponse, l’intelligence des disciples adhère à ces vérités.

- Le chef donne à ses subordonnés des ordres de type pratique pour diriger leur volonté vers le bien commun qui est le but. Ces ordres sont censés indiquer le bien à suivre pour chacun. En réponse, les subordonnés par leur volonté obéissent à ces ordres.

On n’obéit pas à un enseignement, on y adhère. De même, les consignes ne sont pas données pour directement instruire mais pour être obéies. Souvent  la même personne exerce tour à tour le rôle de maître et de chef. Lorsque le professeur de mathématiques dit aux élèves « 2 et 2 font 4 », il enseigne. Lorsqu’il dit « Prenez vos cahiers », ou « Apprenez bien vos leçons », il n’enseigne pas, il donne un ordre ou fait une exhortation.

Conséquences de cette distinction

Dans le domaine pratique, pour poursuivre un même objectif on doit souvent changer de moyens : on fait une chose un jour, et le contraire le lendemain, parce que les circonstances ont changé. C’est pourquoi le chef peut ordonner à ses subordonnés telle action, puis donner un contrordre, en fonction des nouvelles données.

Par exemple, le capitaine du navire ordonne aux matelots de voguer plein nord pour éviter la tempête. Le lendemain, celle-ci étant passée, il ordonne de mettre cap au sud.

Le maître de chantier demande à ses ouvriers de bâtir un mur en bois. Cela fait, il s’avère que ce matériau ne convient pas pour assurer la solidité du bâtiment. Il demande de démolir le mur et d’en construire un autre, en briques cette fois-ci.

Le général en chef des bleus décide de s’allier aux rouges pour combattre l’ennemi blanc. Mais suite à la trahison des rouges et à un retournement d’alliance, il fait la paix avec les blancs et doit envoyer ses hommes livrer bataille aux rouges.

Dans le domaine théorique, la vérité étant une, elle ne change pas selon les circonstances. Ce qui est vrai, est vrai toujours et partout. Par conséquent le maître ne peut pas enseigner un jour à ses élèves le contraire de ce qu’il leur a enseigné la veille, car, s’il le faisait, il détruirait son propre enseignement. Deux énoncés contraires ne peuvent être vrais sous le même rapport, c’est pourquoi l’intelligence ne peut pas adhérer à deux énoncés formellement contradictoires[4].

Application à la vie de l’Église

La foi théologale a son siège dans l’intelligence, et a pour objet une vérité divinement révélée. Par exemple, je crois, c’est-à-dire je tiens pour vrai, que Jésus est le Fils de Dieu. L’obéissance chrétienne consiste à vouloir ce que Dieu veut, et, dans cette optique, à suivre les ordres des supérieurs dans l’Église.

a)      Si vous avez suivi le raisonnement, vous comprenez que l’expression « obéir au magistère » est impropre – un peu comme si on disait « voir un son » ou « entendre une couleur ». On adhère à l’enseignement du magistère.

b)      Impossible d’adhérer à une vérité et à son contraire. Notre foi ne nous fait jamais adhérer à deux énoncés contradictoires ou à une absurdité.

c)      On obéit aux ordres des supérieurs dans l’Église. Ces ordres ne sont pas des enseignements, n’indiquent pas des vérités à croire, mais des actions à accomplir. Rien n’empêche que les supérieurs ecclésiastiques changent les directives pratiques suivant les circonstances.

Le magistère est nécessaire pour interpréter le dépôt de la foi

Selon la volonté de Notre-Seigneur (il aurait pu dans l’absolu faire autrement, mais il l’a décidé ainsi, car cela convient à la nature de l’homme) tout ce qu’il révèle de lui-même, il nous l’enseigne habituellement par son Église, spécialement par le magistère de son Église.

Dieu se révèle à nous; son Église nous transmet cette Révélation. N’imaginons pas deux choses séparées. Cela se fait conjointement. On peut comparer cela à un orateur utilisant un mégaphone pour se faire entendre d’un groupe de pélerins. C’est l’orateur qui parle, c’est aux pélerins qu’il s’adresse, mais il leur parle à travers, au moyen du mégaphone. En même temps que l’orateur parle, c’est le mégaphone qui transmet sa parole.

Il en va un peu de même pour la Révélation divine. Dieu révèle (1), mais toujours cette Révélation est transmise, enseignée par son Église (2). Ainsi nous disons dans l’acte de foi :

Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous nous avez révélées (1) et que vous nous enseignez par votre Église (2), parce qu’étant la Vérité même, vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper. Aidons-nous de cette comparaison (qui n’est qu’une image) :

► De même que les pèlerins ne peuvent pas écouter l’orateur d’une façon séparée du mégaphone, le croyant ne peut pas contrôler la Révélation d’une façon séparée du magistère. Bien plutôt c’est le magistère qui permet au croyant de savoir que telle vérité est révélée par Dieu.

Certes, la foi donne au fidèle un certain « instinct de la foi » : une sorte de « flair » surnaturel qui l’attire vers la vérité divine, et lui fait repousser l’erreur – un peu comme le pélerin entendant des mots ou sons déformés se dit qu’ils ne viennent pas de l’orateur mais d’une mauvaise transmission par le mégaphone. Cependant cet instinct ne suffit pas à déterminer avec certitude le vrai sens de la vérité révélée.

L’Écriture et la Tradition contenant la Parole de Dieu peuvent être interprétées en divers sens. Alors comment s’assurer du vrai sens de la Parole de Dieu ? Quelle interprétation est la bonne, celle de M. X ou celle de l’abbé Y ? Il faut un interprète autorisé, ayant reçu de Dieu l’autorité pour le faire – c’est en ce sens qu’on parle du magistère authentique.

► De même que le mégaphone n’ajoute rien à ce que dit l’orateur, de même l’interprétation magistérielle n’ajoute aucune nouvelle révélation au dépôt de la foi, qui est définitivement clos depuis la mort du dernier Apôtre. Il est vrai que la doctrine se développe durant l’histoire de l’Église. Ce développement se fait non par ajout de vérités nouvelles, mais par passage de l’implicite à l’explicite, de même que certains aspects du discours de l’orateur ont pu échapper aux pélerins lorsqu’ils l’écoutaient, mais plus tard, méditant ses paroles, ils découvrent dans ses propos une implication inaperçue jusque-là.

Ainsi le dogme de l’Immaculée Conception de Marie s’est imposé progressivement à la foi au cours des siècles jusqu’à sa définition par le Bx Pie IX en 1854. Cependant les premiers chrétiens croyaient implicitement à ce dogme en tant qu’il est contenu dans la salutation de l’ange Gabriel à Marie : « Salut, pleine de grâce. »

Rien ne sera non plus retranché. La foi nous pousse à croire à l’Église, donc à son magistère de façon globale : « Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités… » Par conséquent une parole du magistère (pape, Concile…) prend son sens dans l’ensemble et la continuité des enseignements de l’Église. En cas de doute, le vrai sens est toujours le sens traditionnel.

► Le mégaphone transmet la voix plus ou moins fortement, selon le volume auquel il est réglé. En-dessous d’un certain volume, la transmission parfaite n’est plus garantie. De même, le magistère communique avec plus ou moins de force, sa communication manifeste un plus ou moins haut degré d’autorité.

III- PAROLE DE L’HOMME D’ÉGLISE

Jésus-Christ a doté son Église d’un magistère pour interpréter en son nom la Révélation contenue dans la Parole de Dieu. Par conséquent, lorsque le magistère enseigne qu’une vérité a été révélée par Dieu, c’est Dieu qui parle par la bouche de l’Église. Or Dieu ne se trompe pas : une telle parole est infaillible. Ainsi le critère pour reconnaître un enseignement infaillible sera que le magistère l’enseigne comme révélé.

Cela nous introduit dans la fameuse question des « degrés du magistère ». Ce sujet est fort délicat. Il a fait l’objet de mises au point par les théologiens et le magistère lui-même, auxquelles nous renvoyons le lecteur [5]. Dans ce qui va suivre, nous n’en donnons que quelques grandes lignes.

Deuxième distinction : les divers degrés du magistère

Par « magistère » nous entendons le magistère suprême, c’est-à-dire le pape seul ou avec l’ensemble des évêques, dispersés ou réunis en Concile. Nous laissons de côté le magistère de chaque évêque sur son troupeau particulier, ne bénéficiant pas de l’infaillibilité.

Nous laissons aussi de côté les domaines autres que la foi et les mœurs, qui ne concernent pas le magistère. Ainsi, lorsqu’il parle du réchauffement climatique, le pape ne se prononce pas sur la valeur scientifique des théories qui prétendent expliquer ce phénomène. De même lorsque François nous dit quelle est son équipe de football préférée (l’Argentine, évidemment !).

Premier degré : enseignement direct, lié à la Révélation

Le magistère suprême jouit de l’infaillibilité à ces deux conditions cumulatives :

a)      lorsqu’il donne un véritable enseignement. On enseigne quelque chose quand on dit de façon directe que telle affirmation est une vérité universelle (valable toujours et partout), ou au contraire une erreur. L’infaillibilité ne concerne donc pas les jugements visant un cas particulier [6].

L’infaillibilité ne concerne donc PAS les ordres, directives pratiques, et encouragements[7] par lesquels les pasteurs gouvernent le troupeau. Notre Seigneur a donné la garantie que le magistère de l’Église n’enseignerait jamais d’erreur contre la foi, non que le pape ne prendrait jamais de mauvaises décisions pratiques, qu’il gouvernerait l’Église sans jamais se tromper. Saint Pierre lui-même aurait commis des fautes de gouvernement, d’après saint Paul [8].

b)     lorsqu’il donne l’enseignement comme une vérité à croire parce qu’elle a été révélée par Dieu (ou est nécessairement connexe à une telle vérité). L’enseignement doit être explicitement lié à la Révélation, transmise par les Écritures et la Tradition.

Ex. Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, 2 : « Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. [= enseignement direct] […] Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l'ont fait connaître la parole de Dieu [= lien avec la Révélation] et la raison elle-même. »

Deuxième degré : enseignement direct simple

Si le magistère enseigne directement une vérité, sans dire qu’elle est révélée, les théologiens parlent de « magistère simplement authentique ». Il n’est pas infaillible, mais doit être accueilli avec l’« assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence » (Lumen gentium, 25). On adhère à l’enseignement, mais non comme à une vérité de foi.

Par exemple, Pie XII, dans son encyclique Humani generis, enseigne que les fidèles « ne peuvent pas adopter » le polygénisme, théorie affirmant que les êtres humains ne descendent pas tous d’un unique ancêtre commun : « En effet on ne voit absolument pas comment pareille affirmation peut s'accorder avec ce que les sources de la vérité révélée et les Actes du magistère de l'Église enseignent sur le péché originel (…). » Le pape dit que le polygénisme est irrecevable, mais ne le condamne pas comme contraire à la foi.

La plupart des paroles du pape n’atteignent même pas ce 2e degré du « magistère simplement authentique », parce qu’ils ne sont pas un vrai enseignement qui transmettrait directement une vérité à croire toujours et partout. Il existe un degré inférieur.

Troisième degré : pas d’enseignement direct

Dans les documents magistériels, y compris dans les textes d’un Concile comme Vatican II, il faut distinguer l’enseignement proprement dit de tout ce qui l’accompagne : arguments, explications, exemples, illustrations (souvent la plus grande part d’un texte).

Ex. : La phrase par laquelle débute Dignitatis humanae (« La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l'objet d'une conscience toujours plus vive. ») est un constat à valeur oratoire servant à introduire la doctrine sur la liberté religieuse.

Ces propos ne constituent pas l’enseignement au sens strict, la vérité visée directement par le magistère, mais plutôt un appui pour faire passer cette vérité. Ils ne sont donc pas garantis par l’infaillibilité.

Ainsi le maître, pour enseigner à ses élèves que la somme des angles d’un triangle égale 180°, dessine un triangle dont il mesure les angles. Ce qu’il veut enseigner directement, c’est ce principe de géométrie, non l’exemple qui l’illustre. Même si l’exemple contenait une erreur (mettons une mesure inexacte), le principe enseigné directement demeurerait vrai.

Il faut accueillir avec une intelligente docilité ces parties explicatives, en sachant que l’expression pourra présenter des imperfections, voire même quelque inexactitude. Une telle appréciation ne peut être envisagée à la légère par le fidèle, qui cherchera toujours à comprendre le texte dans son sens conforme à la doctrine de l’Église, et à se renseigner auprès d’hommes sages avant de se prononcer.

On peut ne pas être d’accord avec certaines paroles du pape.

Le pape n’a pas de compétence particulière pour résoudre tous les problèmes. Parfois il est du devoir des fidèles d’attirer l’attention des pasteurs sur les éventuelles conséquences négatives de leurs choix. Le Code de droit canon le prévoit :

Canon 212 : § 2 Les fidèles ont la liberté de faire connaître aux Pasteurs de l’Église leurs besoins surtout spirituels, ainsi que leurs souhaits. § 3 Selon le devoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes.

Ce canon se fonde sur l’enseignement du Concile Vatican II,  Lumen gentium, n° 37 :

« Dans la mesure de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur rang, [les laïcs] ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Église. »

Cette liberté est nécessaire à l’Église. Elle permet d’adopter une juste attitude envers la parole du pape dans les domaines contingents (comme la politique), attitude de respect et d’ouverture, non de soumission aveugle.

Notons les mots du Code : « Selon le devoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent ». En matière de doctrine, il revient en premier lieu aux évêques d’intervenir, et notamment aux cardinaux qui ont pour mission d’assister le pape dans sa mission. Les fidèles laïcs peuvent aussi manifester leur sentiment, dit le Concile, « dans la mesure de leurs connaissances », donc après s’être renseignés soigneusement, en vue de l’utilité commune. Le respect de l’autorité implique de ne pas juger ses intentions, de garder la mesure dans le propos, d’éviter d’en appeler sans nécessité à l’opinion publique. En général, les démarches faites via internet ne conservent guère cette juste mesure.

Conclusion- en bref

Dieu parle à l’homme. Il a voulu, du fait de la nature sociale de l’homme, que sa Révélation soit transmise d’homme à homme, à travers l’Église. En plus du pouvoir de sanctifier par les sacrements, Jésus-Christ a confié aux pasteurs de son Église une double charge : enseigner d’une part, gouverner d’autre part. Il faut donc distinguer.

- Paroles d’enseignement : lorsque le magistère suprême (le pape seul ou avec l’ensemble des évêques) enseigne directement une vérité comme révélée par Dieu, il bénéficie de l’infaillibilité accordée par Dieu à ceux qui parlent en son nom : notre réponse sera la foi. Si l’un de ces éléments manque, le degré d’autorité sera moindre.

On doit toujours comprendre une parole magistérielle en cohérence avec les autres. Il est impossible d’adhérer à deux enseignements contradictoires. Si un tel cas se présentait, il faudrait choisir l’enseignement bénéficiant du plus haut degré d’autorité.

- Paroles de gouvernement : lorsque les supérieurs dans l’Église donnent des ordres pour diriger les actions des fidèles dont ils ont la charge, vers le bien commun, à savoir le salut et la sainteté. Ces ordres ne sont pas des enseignements visant à instruire. Pour cette raison 1) ils peuvent beaucoup varier selon les circonstances et 2) ils ne sont pas infaillibles. Le fidèle répond par l’obéissance de sa volonté à un ordre donné par l’autorité compétente[9]. Les catholiques ne doivent pas vouloir justifier à tout prix toutes les paroles du pape, mais ils peuvent exprimer respectueusement  (!) un avis différent.

Toute parole d’un homme d’Église appelle un a priori de respect et de docilité. Distinguons bien entre l’ordre et l’enseignement. On ne se forcera pas ainsi à estimer vrai ce qui n’a pas à être vrai ; et cela n’empêchera pas nécessairement d’obéir, car on peut obéir sans être d’accord (mais non pas croire sans être d’accord).  Dans les enseignements eux-mêmes, sachons discerner les degrés du magistère. On évitera bien des troubles de conscience en constatant que beaucoup d’enseignements n’engagent pas l’infaillibilité de l’Église.


[1] Jésus dit à Simon : « Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. » (Mt 16, 18).

[2] Compendium, n°s 6-9.

[3] Ainsi le mot « Tradition » (du latin tradere, « transmettre ») sert à designer tantôt  l’action de transmettre, tantôt le message transmis oralement. Il ne faut pas confondre la Tradition orale des Apôtres (qui avec l’Écriture constitue le dépôt, message immuable), et la Tradition active par laquelle l’Église de tous temps véhicule ce dépôt (éventuellement en l'explicitant : les formules servant à transmettre le message peuvent évoluer).

[4] Distinguons les contradictions formelles, insurmontables, des contradictions apparentes venant de ce que le maître ne peut pas tout dire à la fois, et qu’il enrichit et précise son enseignement. Ainsi l’enseignant de latin apprend d’abord à ses élèves que les noms se terminant par –us comme dominus sont masculins, les noms en –a comme rosa féminins. Plus tard il leur enseignera que la 5e déclinaison contient des noms en –us féminins comme manus. Contradiction ? Non, pédagogie.

[5] Cf. Augustin-Marie Aubry, Obéir ou assentir ? De la « soumission religieuse » au magistère simplement authentique, Desclée de Brouwer, 2015.

[6] Prenons le cas de la politique. Le pape peut et doit parfois émettre un jugement sur les solutions proposées dans un cas particulier qui touche à la vie de fidèles (tel conflit armé, telle politique migratoire, sanitaire, etc.), surtout si la loi divine et les droits de l’Église sont concernés.

Ainsi S. Pie X déclara « inopportun » (non expedit) pour les catholiques italiens de participer aux élections du régime républicain ; d’autres papes changèrent cette recommandation.

Comme ce jugement vise un cas particulier en des circonstances contingentes, il n’est pas un enseignement – il n’est donc pas infaillible. On peut donc en ce cas,  si l’on a de bonnes raisons, ne pas partager l’avis du pape.

[7] Encourager l’action n’est pas enseigner. En parlant des migrants, le pape François a déclaré « j’exhorte les pays à une généreuse ouverture » ; et « comme elles sont belles les villes qui dépassent la confiance malsaine et intègrent ceux qui sont différents » (Pape François le 27/3/2016). Quelques mois après, d’ailleurs, il a appelé à la « prudence » dans l’accueil des réfugiés (Pape François le 1/11/2016).

[8] Galates 2, 11-12 : « Mais lorsque Céphas [Pierre] vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était  digne de blâme. En effet, avant l'arrivée de certaines gens de l'entourage de Jacques, il  mangeait avec les païens; mais après leur arrivée, il s'esquiva, et se tint à  l'écart, par crainte des partisans de la circoncision. »

[9] Il va de soi que personne ne peut ordonner de commettre un péché.