En formation sur l'arbre de la Croix
La dévotion au Sacré-Cœur est née au Calvaire lorsque la lance d’un soldat ouvrit le côté du Christ et transperça son Cœur. Saint Jean, l’apôtre bien aimé, l’affirme : « Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyez. » (Jn 19, 35). Voilà que « le mystère caché depuis des siècles en Dieu » (Col 1, 26) s’est révélé au grand jour lorsque le Cœur du Fils de Dieu a été entrouvert et qu’il en est sorti de l’eau et du sang. Scène fondatrice où les mystiques verront la révélation de l’amour de Dieu.
Dans les premiers siècles, les Pères de l’Église voient dans le côté ouvert du Sauveur l’annonce de l’Église comme nouvelle Ève formée par Dieu du côté blessé du Nouvel Adam. Saint Justin en Palestine, saint Irénée en Gaule, Tertullien en Afrique, saint Hippolyte à Rome, font le lien entre la transfixion du cœur de Jésus et la naissance de l’Église. D’autres Pères vénèrent les plaies du Christ.
Un murissement progressif
À partir du XIIe siècle, les auteurs mystiques passent de la contemplation des cinq plaies du Christ à l’amour explicite pour son Cœur ouvert où ils aiment à établir leur demeure. Cette attention portée au Cœur de Jésus comme symbole de l’amour divin est l’un des nombreux fruits de la dévotion, plus générale, portée à l’humanité sainte du Christ. Ce mouvement de la spiritualité ne se porte plus seulement sur Jésus comme Verbe incarné, comme celui qu’on doit écouter, suivre et imiter. Il se caractérise par une attention toute particulière portée à l’intériorité du Christ et à vivre dans son intimité. Le véritable initiateur en est saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), dont la prière prend des accents enflammés :
« En vérité, quel asile plus sûr et plus tranquille que les plaies du Sauveur ? Elles sont précieuses ces ouvertures, témoins fidèles de la résurrection et de la divinité du Christ (…). Le fer a traversé son âme, il a eu accès jusqu’à son Cœur, afin que désormais, il n’ignore pas comment compatir à nos misères. Le secret de son Cœur est à découvert par les ouvertures de son corps, découvert ce grand mystère de tendre bonté, découvertes les entrailles miséricordieuses de notre Dieu ».
Dans ce Cœur, saint Bernard contemple le grand mystère de l’amour divin.
Au siècle suivant, certaines moniales bénédictines reçoivent des révélations privées. La première est sainte Lutgarde (1182-1246). Un jour, elle dit à Jésus : « Je veux votre Cœur ». « C’est plutôt moi qui veux le tien », réplique le Christ. Il lui montre la plaie sanglante du côté et unit son Cœur au sien. Les autres religieuses sont des moniales d’Hefta : sainte Mechtilde († 1298) et sainte Gertrude († 1303). Mechtilde voit le Christ lui ouvrir la plaie de son Cœur, l’invitant à contempler l’étendue de son amour. Une autre fois, il lui dit : « Entre et, parcours mon divin Cœur en long et en large : la longueur signifie l’éternité de ma bonté, la largeur, cette ardeur et ce désir qu’avant tout commencement j’ai eu de ton salut ».
Sainte Gertrude reçoit les stigmates de Jésus, après avoir eu le cœur transpercé par un rayon sorti du divin Cœur. Son livre intitulé, Le Héraut de l’amour divin, la montre comme une âme totalement abandonnée à la tendresse du Christ. Un 27 décembre, l’apôtre saint Jean lui apparaît pour lui parler de la dévotion au Sacré-Cœur : « Il était réservé pour les temps actuels de dire la suavité des pulsations d’amour (du Cœur de Jésus) pour que se réchauffe le monde vieillissant et dont l’amour se refroidit ». Pour les deux moniales bénédictines, le Cœur de chair de Jésus est le symbole de l’amour du Verbe pour son Père et les hommes.
Du XIIIe au XVe siècles, la dévotion au Sacré-Cœur se propage dans divers ordres religieux : Franciscains, Dominicains, Chartreux (Lansperge). À l’époque moderne, le grand propagateur de l’amour du Cœur de Marie et du Sacré-Cœur sera le missionnaire français saint Jean Eudes (1601-1680). Il compose des messes et des offices en l’honneur des Cœurs de Jésus et de Marie.
La cueillette du fruit mûr à Paray-le-Monial
Sainte Marguerite-Marie Alacoque est religieuse visitandine au monastère de Paray-le-Monial en France. C’est là qu’elle reçoit une mission de la part du Sauveur. La première grande révélation eut lieu le 27 décembre 1673, fête de saint Jean évangéliste. Le Christ lui découvre son Cœur et lui adresse ces paroles : « Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes et pour toi en particulier, que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’il les répande par ton moyen (…). » L’année suivante, elle voit le Cœur de Jésus comme dans un trône de flammes, avec une plaie, environné d’épines et surmonté d’une croix. Telle est l’origine de la fameuse image du Sacré-Cœur. La troisième apparition date de juin 1674, le Christ lui demande l’exercice de ce qu’on a appelé par la suite « l’heure sainte », c’est-à-dire l’adoration du Saint-Sacrement faite dans un esprit de réparation. Il y a aussi le grand message de Paray en juin 1675 où le Christ demande à la moniale de faire instaurer dans l’Église une fête liturgique dédiée à honorer son Cœur. Malgré les oppositions très fortes qu’elle rencontre au sein de sa communauté et auprès de certains clercs, ce message se diffusera dans le monde entier au cours des décennies suivantes.
Père Bertrand-Marie Guillaume