O Emmanuel !
23 décembre 2021

Message de Noël

Chers amis,

en cette attente fervente du Sauveur, je sens le besoin de venir m’entretenir avec vous d’un sujet qui nous préoccupe tous. Je le ferai avec les paroles qui sortiront d’un cœur de prêtre qui a célébré avec un profond bonheur depuis plus de quarante-quatre ans la messe traditionnelle.

Une question nous est posée depuis le Motu proprio Traditionis custodes du 16 juillet 2021 et les Responsa ad dubia de la Congrégation pour le culte divin du 18 décembre 2021 : ne faudrait-il pas que les Instituts Ecclesia Dei adoptent, comme on les y invite, la célébration de la messe et des sacrements selon le missel et les rituels réformés par Paul VI ? Autrement dit, que ces Instituts entament un processus d’abandon des livres liturgiques antérieurs à la réforme de 1969 ?

Comme fondateur de l’un de ces Instituts, je répondrai spontanément : « La liturgie traditionnelle, c’est notre être même ! » Nous demander de l’abandonner, c’est nous recommander de tuer ce qui a façonné notre être spirituel depuis des décennies. La liturgie traditionnelle latine relève d’ailleurs de la richesse immémoriale de l’Église, qui ne peut disparaître, car elle fait partie de son patrimoine indisponible. Vouloir l’éliminer du « périmètre visible de l’Église catholique » (comme disait Jean Madiran), c’est une opération impossible, parce que contradictoire avec l’essence de la Tradition. Enfin, pour nous qui avons fait des vœux selon des Constitutions imprégnées de liturgie traditionnelle, c’est nous inviter à rejeter « la forme en laquelle Dieu nous veut saints », comme dit sainte Élisabeth de la Trinité à propos de sa Règle.

En restant fidèles à nos vœux, nous sommes dans la pleine obéissance à l’Église. La Constitution apostolique Pastor Bonus du 28 juin 1988 précise en effet en son article 107 : la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique « veille à ce que les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique se développent et progressent dans l’esprit des fondateurs et les saines traditions, à ce qu’ils poursuivent fidèlement les fins qui leur sont propres et contribuent efficacement à la mission de salut de l’Église. »

Or, l’esprit des fondateurs et les fins propres, qu’est-ce que c’est pour nous ? C’est la fidélité au Siège apostolique intimement unie avec l’attachement à la tradition latine, pour la spiritualité, l’apostolat, la liturgie, et la discipline [1]. C’est notamment la faculté d’user des livres liturgiques en usage en 1962. L’abandon de ces expressions dans le domaine crucial de la liturgie serait pour nous contraire à l’obéissance et à l’esprit de l’Église.

Il y a une autre raison pour laquelle cet abandon est impossible : l’honneur du Saint-Siège. À propos de prêtres et de fidèles respectueux de l’autorité hiérarchique, mais pour qui la réforme liturgique constitue une réelle difficulté, le Saint-Siège a assuré : « Toutes les mesures seront prises pour garantir leur identité dans la pleine communion de l’Église catholique »[2]. Il a inscrit ces dispositions dans les Décrets d’érection de nos Instituts, et il a confirmé nos Constitutions. Ces textes solennels explicitent clairement notre attachement aux pédagogies traditionnelles de la foi, notamment en matière liturgique. Selon le principe « pacta sunt servanda »[3], l’Autorité suprême de l’Église ne peut revenir sur la parole donnée.

Un tel abandon des spécificités liturgiques est d’ailleurs impossible, je l’ai déjà évoqué plus haut, pour les membres de nos Instituts. Les religieux, religieuses et prêtres engagés dans nos Instituts ont prononcé des vœux ou émis des engagements selon la spécification des Décrets d’érection et des Constitutions, qui les attachent aux formes liturgiques de la tradition latine antérieure. C’est de cette manière que, confiants dans la parole du Souverain Pontife, ils ont donné leur vie au Christ pour servir l’Église. Selon le droit naturel et la théologie classique de l’obéissance, ce qui serait contraire à cette spécification essentielle ne saurait par conséquent les lier [4].

Enfin, un tel processus de mutation liturgique constituerait un grave dommage pour un nombre important de fidèles. Déjà ils ne comprennent pas les restrictions apportées à la célébration de la messe traditionnelle. Leur désarroi face à la perte de cette liturgie qui nourrit leur vie intérieure serait immense. Et comment pourraient-ils accepter de voir traiter ainsi, à l’encontre de leur conscience éclairée et appuyée sur la parole des Pontifes précédents, des centaines de prêtres, de religieux et religieuses, de séminaristes, qui sont restés fidèles à la hiérarchie catholique depuis trente-trois ans, parfois au prix de grands sacrifices ?

La fidélité à la liturgie traditionnelle, c’est pour nous un devoir et la joie de contribuer ainsi à notre rang « à la mission de salut de l’Église »[5].

Que l’Enfant de la Crèche et sa Mère Immaculée vous bénissent, mes chers amis, et vous gardent dans l'Espérance !

[1] Le Motu Proprio Ecclesia Dei du 2 juillet 1988 mentionne ces expressions de la tradition latine antérieure au nn. 5a, 5b et 6a.

[2] Note d’information du Saint Siège du 16 juin 1988, Documentation Catholique, n° 1966, p. 739.

[3] « Les conventions doivent être respectées ».

[4] Cf. Code de droit canonique, canon 601, et saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, II-II, q. 104, a. 5, ad 3.

[5] Constitution apostolique Pastor Bonus, article 107.