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À la mi-août, le père Augustin-Marie Aubry, accompagne des responsables de SOS-Chrétiens d’Orient en Syrie et au Liban. Ils rendent visite aux combattants chrétiens de deux villages situés sur la ligne de front en Syrie.

« GAME OVER » : en police gothique, taille 100, un jeune soldat, au physique affuté, arbore ces mots tatoués sur l’avant-bras droit. Le côté de la gâchette. Avec un sourire juvénile, il fait le geste de mettre en joue. Mélange d’humour de caserne et d’autodérision. En cas de sort défavorable des armes, le soldat porte bien visible au cou un autre tatouage : la croix du Sauveur. Pour que l’hypothétique jihadiste qui souhaiterait lui trancher la gorge au couteau sache sans équivoque que c’est un chrétien qu’il assassine. Bienvenue à Sqelbiyé (Al-Suqaylabiyya), petite ville au Nord-Ouest de Hama en Syrie. Dans cette localité de 9 000 âmes (grecque-orthodoxe), on tient la ligne de front depuis plusieurs années. Avec fierté, les soldats soulignent qu’ici les « terroristes » ne sont pas passés. Le village a tenu.

Avec un plaisir non dissimulé, une ostentation toute orientale et une insolence que fait naître la présence permanente du danger, « Monsieur Nabel », l’homme qui a organisé la défense de Sqelbiyé, invite notre groupe de Français à une fête joyeuse et bruyante, en pleine journée, non loin de la ligne de front. « 300 mètres » disent les villageois avec crânerie. Je ne suis pas allé vérifier… Au-delà se tiennent les « terroristes », ceux que les médias occidentaux distinguent en « rebelles modérés » et « jihadistes ». Après sept ans de guerre, des dizaines de morts et blessés, civils et militaires, des milliers d’obus, les gens de Sqelbiyé ne distinguent plus. Ils défendent leur foi et leur foyer contre l’agresseur.

Nabel n’a pas la quarantaine, il est marié, père de deux enfants. Avant la guerre, il tenait une station-essence. Depuis la guerre, il est devenu chef de bande, chef de milice, chef de guerre. Figure énigmatique, entre Robin des Bois et Jean Chouan. Robin des Bois pour la chose économique : on taxe aux check-points. Jean Chouan pour l’air farouche et le motif principal de son combat : « Cela fait des siècles que nous vivons ici, fidèles au Christ. Rien ne nous fera changer ». Pas même les pluies d’obus. Il porte toujours un grand châle sur la tête, un peu comme le panache blanc de Charette. Un pistolet Glock sous le bras gauche, toujours prêt à dégainer. Le régime alimentaire est sommaire : foul et Jack Daniel’s. Je ne présente pas le liquide. Pour le solide, c’est un plat local, simple mais excellent, à base de fèves. On dit Nabel terrible à la guerre, rude avec ses hommes sans doute. Au village, on a composé une chanson à sa gloire : on le compare à une panthère… À mon départ, la panthère s’incline devant le prêtre et demande des prières pour lui et ses hommes.

À 25 kilomètres de Sqelbiyé se trouve un autre village, situé sur une hauteur, Mhardé. À ses pieds coule l’Oronte. Nous y sommes accueillis par un autre chef de guerre, « Monsieur Simon ». La soixantaine, déjà grand-père, il offre un tout autre visage que la panthère de Sqelbiyé, bien plus rassurant. La guerre l’a lui aussi tiré d’une situation confortable. À la nuit tombante, il nous conduit sur un poste militaire qui surplombe la vallée et défend l’accès au village. Les lumières permettent de distinguer les diverses zones : au fond, les zones jihadistes ; devant, au pied de la colline, les lieux jusqu’où l’ennemi est arrivé ; en hauteur, sur un éperon rocheux, comme une belle endormie, le château de Shaizar. Depuis sept années, on scrute, on surveille, on prend des coups, on en donne, on défend surtout la route de Hama, qui mène ensuite à Homs et Damas. Mhardé est un lieu stratégique, un verrou. La topographie parle d’elle-même.

Dans ce décor, entre les fûts de canon, les caisses de munition et les sacs de sable, Simon raconte comment il a organisé la défense de ce village de 25 000 âmes. Il nous explique que la politique ne l’intéresse pas. Son seul souci est que les gens de Mhardé puissent continuer à vivre libres chez eux, autour de leur église. Le clergé s’est d’abord opposé à ce que les villageois organisent militairement leur défense. Puis, devant les faits, s’est incliné. Il bénit désormais. Ainsi parle le curé de Mhardé, en montrant les Saints Livres posés sur l’autel derrière l’iconostase : « Depuis des années, nous vivons cette parole du psaume : “Recherche la paix et poursuis-là”. Nous voulons la paix. Mais la paix doit être armée. Nous voyons un signe de Dieu dans les hommes forts que Dieu nous a donnés pour défendre nos villages. » Ce faisant, il désigne Simon et Nabel, au premier rang, qui baissent la tête.

Deux jours plus tard, je suis à 150 kilomètres au Sud, du côté libanais, au Nord-Est de la Bekaa. À Qaa, village grec-catholique de la frontière, les hommes aiment chasser dans la montagne. Mais on ne tire pas que des cailles. Le maire, Bachir, a marqué les mémoires en éliminant à quelques mètres un terroriste d’une rafale de Kalachnikov. Ici aussi, on s’est vaillamment défendu. Ce 25 août, on célèbre l’anniversaire de l’offensive menée en 2017 par l’armée libanaise contre les hommes de Daech qui se terraient dans la montagne à la frontière entre la Syrie et le Liban et qui ont semé la mort à Qaa ou Ras Baalbek. Commandés directement par le nouveau Président, Michel Aoun, les combats, qui avaient duré une semaine, avaient atteint l’objectif fixé : chasser les intrus du territoire. Victoire symbolique puisqu’elle a permis d’installer un poste militaire à la frontière des deux pays. C’est là que l’officier commandant la place a tenu à inviter les villageois de Qaa pour qu’ils puissent découvrir cette zone longtemps interdite par la présence des terroristes.

Nous souhaitons le même succès aux courageux défenseurs de Mhardé et Sqelbiyé. La grande offensive contre la poche d’Idleb est imminente. La pression va être formidable sur les fronts. Nos deux villages doivent tenir. Nos prières peuvent y aider.

Article paru dans L’Homme Nouveau du 14 septembre 2018